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Par Aymeric Engelhard

 

L’amour au cinéma ? Un sujet battu et rebattu. On en a vu toutes les coutures, extérieures comme intérieures. Mais on n’était loin d’imaginer ce qu’allait en faire le palmé de « Tree of Life ». Une œuvre unique, un moment de grâce en apesanteur.

 

Neil et Marina pensaient s’être trouvés. Elle, Française d’origine ukrainienne, et lui, Américain pure souche, ont vécu ces moments où le temps s’arrête, où les éléments semblent s’être mis de concert pour que les flèches de Cupidon restent plantées au plus profond. La caméra flotte en suivant leurs pas sur le sol instable des plaines humides entourant le Mont St Michel (la merveille du titre).

 

En esthète au regard photographique, Terrence Malick sublime ses cobayes, les rendant inévitablement beaux et émouvants. Comme le montre l’avancée de la marée sur le sable normand, ces images reflètent le calme avant la tempête. Car l’amour se consume. Marina va vivre en Oklahoma et se piège dans une illusion de bonheur que Neil a déjà abandonné. Mais le cœur a ses raisons… La tempête gronde, la séparation n’y fait rien, Marina ne peut vivre sans Neil. Et lui accepte, larguant au passage son autre amour, Jane (Rachel McAdams), certainement la seule femme capable de le rendre heureux.

 

Les caresses sont devenues coups. Le mobilier voltige. Les erreurs graves s’amoncellent pour un couple totalement perdu. Mais le cœur ne se brise pas. Et tout ça en moins de deux heures, presque sans dialogue. Quasiment expérimental, « A la Merveille » suit en grande partie des personnages qui errent dans un monde qu’ils ne maîtrisent pas. Malick persiste et signe avec le style de « The Tree of Life », soit une poésie visuelle de tout instant sublimée par une bande-originale somptueuse.

 

La caméra volète à la manière d’un électron libre afin de capter chaque geste, chaque petite chose qui remplace la démonstration pure et dure du cinéma dit classique. Tout dialogue apparaît alors fortuit. L’amour n’est pas question de mots. Comme s’en rend compte le père Quintana (magnifique Javier Bardem), autre cobaye de Malick, qui croit avoir perdu l’amour de Dieu. Ses prières n’y font rien. La beauté des images atteint un niveau inégalable et illustre parfaitement ce qui apparaît comme le plus simple des films de son auteur. En apparence seulement. Car on ne peut pénétrer les pensées de ces âmes perdues. Dès lors, impossible de coller à la réalité sans avoir vécu ces situations.

 

Le réalisateur de « La Ligne Rouge » y a forcément mis du sien, lui qui semble constamment vivre dans un univers métaphysique. Le génie de la lumière Emmanuel Lubezki accompagne le maestro de son talent unique, Olga Kurylenko se révèle totalement avec sa fragilité désarmante (on ne peut qu’en tomber amoureux), Ben Affleck s’impose sans parler… La sauce prend dès les premières images et ne tournera jamais jusqu’au générique. Du très grand art. Dommage que beaucoup n’y ait vu qu’un bête ersatz de « The Tree of Life ». Plus expérimental et mieux troussé que son aîné, « A la Merveille » marque la rétine en grand poème amoureux comme le cinéma n’en a montré que bien peu. La marque des très grands, incontestablement.