Par François Celier

 

Longeant la place des Martyrs de Clichy-la-Garenne en méditant sur le thème « de Kerviel à Madoff » (1), une pensée me vint à l’esprit : Comment sauront-ils si personne ne les informe jamais du point de vue de l’irrationnel ?

 

Je vis alors une scène qui m’enchanta. Deux enfants essayaient de calmer l’excitation de trois petits chiens à longs poils, bien brossés et faisant leurs besoins là où on leur disait de faire.

Près d’eux, une maman porta à ses lèvres une tige de laquelle jaillit un chapelet de bulles savonneuses brillantes.

En les voyant voleter ça et là, emportées par une brise légère, les trois yorkshires firent des bonds spectaculaires puis, vibrionnant d’excitation, s’élancèrent à leur poursuite pour les happer avec jubilation. Leur frénésie était franchement hilarante, un festival de bonds accompagnés du rire des enfants.

Or, voilà que plusieurs chiens-voyous (« racailles » relevant du copyright présidentiel) qui par nature, ne faisaient jamais où ils devaient, se précipitèrent dans l’enceinte.

Aussitôt, coups de gueules et vociférations crescendo.

Inquiète, la mère tenta de les écarter de la scène, mais les chiens-poulbots lui montrèrent des crocs très dissuasifs.

Dans l’espace des ultra-sons, un sifflement inaudible aux oreilles humaines perça l’air. Trois énormes molosses noirs, lourds et silencieux, jaillirent d’une rue adjacente et foncèrent sur les lieux en provoquant un  recul de frayeur.

Gueules grand’ ouvertes, ils s’emparèrent des trois yorkshires tétanisés. Leurs puissantes mâchoires et leurs crocs firent craquer leurs corps glapissants.

Horrifiés, les deux enfants se mirent à hurler. La panique gagna leur mère qui les serra très fort contre elle.

Cette charmante matinée printanière venait de basculait dans une séquence de hurlements… analogue aux cris des traders sur une place boursière de l’après-Madoff.

Panique et pleurs des enfants, geignements d’agonie des trois yorkshires à poils soyeux, souillées de sang.

Férus en guérilla urbaine, les chiens-voyous, tentèrent de résister aux molosses.

Mais ils reçurent de telles morsures qu’ils déguerpirent, boitant et glapissant de douleurs.

Un second sifflement ultra-sonique perfora l’air, faisant dresser les têtes des trois molosses. Rejetant d’un mouvement de tête les corps désarticulés des trois petites choses soyeuses, ils s’esquivèrent aussi vite qu’apparus…  

De quel enfer survinrent ces molosses ? Ai-je pensé en considérant cette parabole impromptue comme une allégorie métaphysique. Le scandale financier révélé par la fraude de  Bernard Madoff serait-il du même ordre ?

Impunément, ce dernier émit d’innombrables bulles de savon étincelantes sur les bourses électroniques, invitant de naïfs nantis, néanmoins avida dollars, et des élites banquières insatiables, à croquer ses belles bulles brillantes (à plus de 17 % d’intérêts, voire plus).

Le désastre économique qui s’ensuivi bouleversa l’intelligence des professionnels de l’argent et celle de milliers de dés-innocentés, ruinés, pétrifiés d’incrédulité.

Par ultra-sons numériques (ou empirisme des valeurs électroniques), les molosses (ou maffieux du grand capital) contre-arnaquèrent les derniers rescapés bancaires du mirobolant concept de gains faciles.

Autrement dit : Madoff, ex-maître-nageur en eaux troubles et affairiste roué, reconçu un vieux système de vente pyramidale par lequel sa société d’investissement de Wall Street payait les intérêts de ses premiers investisseurs avec le capital apporté par les derniers entrés… Grace à cette aubade évangélique et séductrice « les 1re seront les derniers… », Madoff devint LE brillant joueur de flûte en bulles de savon.  

Ses bulles ayant toutes éclatées le laissèrent (richement) penaud lorsque le FBI lui mit la main au collet.

Or, sait-on qu’il ne fut que le souffleur d’une partition virtuelle mise en musique par Mammon him self ? Who ? L’un des Princes de l’Enfer (personnifiant richesse, avarice et iniquité). Son beau chapelet de bulles méphistophéliques illustre l’amour de l’argent (réel, virtuel, artificiel) et envoûte nos sociétés cupides.

Sa flûte enchantée n’engendra qu’un vortex de bulles de savon, amenant l’économie du monde au bord du gouffre. Mammon-Madoff nous ramène à l’hypothèse majeure : Dieu ou Mammon ?

En entrant dans l’ère du relativisme et du mensonge de l’image numérique, beaucoup d’autres petits Madoff rêvent encore d’un avenir en bulles de savon.

François Celier

 

(1) Table-ronde à propos de Kerviel-Madoff du 24 mars à Paris, dans laquelle je fus conférencier.