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Par Aymeric Engelhard

 

L’immense réalisateur qu’est Martin Scorsese s’avère être une véritable machine à grand film. Qu’en est-il de son dernier opus qui signe sa première incursion dans le thriller pur flirtant avec l’épouvante ? Et bien c’est ¾ de sensationnel et ¼ curieusement raté.


« Shutter Island » commence avec un homme, Teddy Daniels, la tête dans les toilettes. La mer le rend malade. Il se rend, avec son collègue détective, sur la fameuse île qui renferme les cas les plus dangereux de maladie psychiatrique. Il doit enquêter sur la disparition d’une femme. Mais ce qu’il découvrira sera bien loin de ses espérances… Teddy s’apprête à se perdre tant physiquement que psychologiquement et, du même coup, embarque le spectateur avec lui. Et Dieu que c’est bon de se faire embarquer comme cela ! L’aventure commence avec l’arrivée oppressante sur l’île au son d’une musique qui mettrait « Shining » à terre. La photographie et les cadrages imposent rapidement le silence, l’expérience risque alors d’être inoubliable. Scorsese pénètre la psychologie d’un asile au sein d’une enquête qui semble avoir du sens mais qui s’avève d’une réalité toute autre. Et lorsque les dingues sont lâchés, ce sont nos nerfs qui en prennent un coup. Pour autant, si l’ambiance atteint vite des sommets, il apparaît dommage que Scorsese ne joue pas un petit plus dessus. En effet, il faut attendre certaines scènes particulières avant d’être vraiment scotché (malgré un début terrible). Mais ce qui est finalement décevant c’est que la fin soit si gâchée. On a droit à un final déjà vu cent fois. Certes c’est un twist particulièrement puissant mais il l’aurait été encore plus si Scorsese n’avait pas abandonné toute cette « patate » qui faisait la différence dans les scènes précédentes. Pire, l’impression qui domine est que cette fin gâche littéralement le reste. Et là c’est carrément rageant !!! On passera aussi les erreurs techniques incroyablement flagrantes qui envahissent l’écran (faux raccords, lumière…).

Malgré ce bémol de taille, le film ne manque pas d’atouts. Ainsi, outre les points forts déjà évoqués, il y a Leonardo DiCaprio qui n’a jamais été aussi bon que sous la direction de son vieux compère. L’acteur montre une nouvelle facette de son talent en explorant la psychologie d’un personnage finalement pas si normal. C’est lui et uniquement lui qui rattrape le twist qui clôt le film. Il évolue avec classe dans cet univers diabolique où plus rien ne semble avoir de sens. Mark Ruffalo (« Zodiac ») et Ben Kingsley (« Gandhi ») l’accompagnent non sans talent, eux aussi. En fait, les réels défauts du film s’appliquent au livre dont il est tiré. C’est la troisième œuvre de Dennis Lehane qui a les honneurs d’une adaptation cinématographique après « Mystic River » (Clint Eastwood) et « Gone Baby Gone » (Ben Affleck). Scorsese y apporte une patte inimitable (les scènes plus intimistes sont d’une beauté sidérante). Après des coups de maître (« Taxi Driver », « Casino », « Les Infiltrés ») et quelques chefs d’œuvre (« Raging Bull », « Les Affranchis »), Martin Scorsese signe un thriller percutant et oppressant qui perd sa verve dans un final décevant. « Shutter Island » reste une œuvre passionnante, fascinante autant qu’imparfaite. Un film à voir.