La tribune de Nicole Esterolle
Qu’est-ce que les châteaux de France, de Versailles à Suze la Rousse, ont bien fait au Bon Dieu, pour que la plupart d’entre eux soient, tous les étés, bourrés à l’art contemporain ?
Quel est le rapport entre la splendeur architecturale de ces édifices, leur intérêt historique et les zigouillis d’art contemporain dont on les remplit et qu’on impose aux visiteurs ? Tous les étés, c’est une coutume, l’atmosphère, dans la plupart des châteaux à visiter en France, est à l’art dit contemporain. (…Dit contemporain, mais qui fait une solide fixation au stade dada anal pervers duchampien polymorphe de bien avant la guerre 39-40). Choisi au hasard parmi les dossiers de presse que je viens de recevoir, voici celui des « parcours d’été » dans les châteaux de la Drôme (Château des Adhémar à Montélimar, Château de Grignan, Palais Delphinal de Saint Donat, Espace Visitation de Romans, Château de Suze la Rousse). C’est le FRAC-Institut d’art contemporain de Villeurbanne qui squatte ces cinq lieux chargés d’histoire en proposant un parcours artistique intitulé justement « Atmosphères ». Moi, je vous le dis franchement, autant j’apprécie par exemple de voir une expo Olivier Debré au château de Chambord, autant je trouve très abusif, voire malhonnête, voire pervers, d’obliger un public venu tranquillement là pour la beauté architecturale des lieux et pour leur histoire, à se farcir ce type de produit culturel parasite des vieilles pierres, comme s’il s’agissait de lui casser le moral et de le faire désespérer à la fois de lui-même et de l’avenir de l’humanité, qui est déjà par ailleurs bien mal barré.
En effet, pour ce qui est de « l’atmosphère », on ne peut pas dire que ce soit vraiment l’optimisme exempt de dioxyde de carbone, à en juger par ces quelques extraits du texte du dossier de presse où il est surtout question d’invisibilité, d’immatérialité, de déconstruction, de rupture, de vertige, d’absurde, d’impénétrabilité des mouches, de disparition, d’instabilité, d’insaisissable, etc… bref, de notions bien tordues, bien débilitantes et férocement schtroumpfesques… : Laurent Grasso cherche à « transcrire l’invisible » et à restituer le mystère anticipatoire des dispositifs de contrôle. Pascal Convert dessine un rapport mental aux lieux, dont il retient ce qu’il nomme des « seuils visuels », comme les fenêtres de villas vouées à disparaître. La sculpture « architecturale » de Bojan Sarcevic met en lumière l’espace tout en le rendant impénétrable. Teintées d’une dimension sacralisante, les œuvres de Spalletti sont des formes stylisées qui lient proximité et espace cosmique. L’œuvre de Bernhard Rüdiger incite également le visiteur à se projeter vers un horizon sans limites, ni géographiques ni temporelles. L’installation sonore de Sylvia Bossu met à l’épreuve la réalité corporelle du spectateur en suscitant une promiscuité physique avec l’œuvre et un questionnement sur ce qu’il perçoit. Conjuguant le savant au populaire l’œuvre de Rodney Graham déploie une dimension poétique et doublement réfléchissante. La poétisation du réel est également au cœur de l’œuvre de Pierre Malphettes qui associe matérialité et imaginaire. Travaillant à la frontière entre documentaire et fiction, Melik Ohanian filme le vide et le temps, jusqu’au coucher du soleil. Tout aussi énigmatique, l’œuvre de Laurent Montaron génère une spatialisation du son et met en forme une allégorie. Bien que minimal dans sa forme, le Corps noir d’Ann Veronica Janssens crée un espace spéculaire qui enveloppe le visiteur et modifie sa présence corporelle. Ce dernier est confronté à « l’insaisissable », une expérience subtile où il perd le contrôle de ses sens. Dans le travail de l’artiste, la déconstruction de l’objet ramène le spectateur à son propre corps et à une expérimentation de l’instabilité. Les œuvres environnementales de Philippe Decrauzat troublent la perception de l’espace, déstabilisent nos repères jusqu’au vertige. Le travail de Delphine Coindet joue d’une rationalité apparente pour devenir un objet quasi immatériel » (à preuve l’image jointe)…
Vous avez bien lu ? Alors, dites-moi, d’où ça vient ces borborygmes cervicaux ? C’est quoi ces flatulences intello-débiles?, c’est quoi ces machins sans queue ni tête encombrant les vénérables parquets ? C’est quoi cette embrouille où l’on voit, comme troupeaux de cloportes, des œuvres ineptes et sans valeur patrimoniale parasiter des lieux chargés de sens et de vécu à haute valeur historique ? C’est quoi cet irrespect des ancêtres et des actuels visiteurs? De quel droit ? Au bénéfice de qui ? Au nom de quelle logique à la mors-moi-le-nœud culturlurel ? Doit-on dépenser autant d’argent public pour polluer des lieux qui n’ont rien demandé et persécuter ainsi leurs visiteurs à coups de petites cruautés mentales subventionnées par la cultirelire ? Quel ministre du patrimoine aura un jour le pouvoir et le courage de faire le ménage dans nos châteaux et d’y interdire ces dépôts estivaux d’insanités artistiques?
Et maintenant, je vous propose ce devoir de vacances, qui consiste à répondre à la question suivante : Est-ce vraiment démagogique, populiste et réactionnaire de ma part, de vilipender cette façon d’instrumentaliser le patrimoine historique français à fin de promotion de cette part exclusivement schtroumpfesque de l’art d’aujourd’hui ? Vos réponses intéressent particulièrement une copine sociologue de l’art.