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Jean Bouise et Roger Planchon dans l’Infamie

 

Par Alain Vollerin

 

Roger Planchon était inscrit dans un réseau de résistance. Il portait des messages. Déjà. Les débuts furent difficiles, après la seconde guerre mondiale. A Lyon, il y eut un temps une polémique. Qui, du critique d’art, René Deroudille ou du journaliste au Progrès, Bernard Frangin avait découvert Roger Planchon ?

 

Né à Saint-Chamond, le 12 septembre 1931, Roger Planchon évolua pendant son enfance dans un milieu modeste. Ardéchois, ses parents tenaient un café à Lyon. Roger Planchon fit de fréquents voyages vers l’Ardèche, terre de ses origines. On peut dire qu’il était l’archétype de l’Ardéchois, un peu renfermé, ténébreux et rude en apparence. Son père souhaitait le voir cuisinier. Un beau métier. Il trouva un emploi dans une banque. La nuit, il fréquentait les caves lyonnaises dans l’esprit de Saint-Germain des Prés. Il rencontra quelques-uns de ses compagnons de route : Claude Lochy, Robert Gilbert, futur administrateur, et Alain Mottet qui sera révélé par la télévision. Planchon s’initia à l’art théâtral, il fit connaissance d’Isabelle Sadoyan qui plus tard épousera Jean Bouise. Au concours des jeunes compagnies à Mâcon, la petite troupe joua Bottines et Collets montés, et la Nuit des Rois. Nous étions en 1950. La même année, Planchon étudia en Avignon les thèses de Jean Vilar qu’il adoptera pour nourrir son inspiration de metteur en scène. Une bonne part était donnée au texte. Le décor disparaissait. Il était dans les costumes des comédiens. L’aventure du Théâtre de la Comédie put commencer dans la rue des Marronniers. Elle débuta, le 1er janvier 1953, avec l’adaptation d’un roman de Ponson du Terrail, « Rocambole ». On imagine le tumulte dans le milieu lyonnais où, les spectateurs, souvent des bourgeois alanguis dans leurs fortunes et leurs certitudes, étaient abonnés au répertoire classique du Théâtre des Célestins. La révolution passait très mal. Les acteurs tiraient le diable par la queue. Roger Planchon eut apprécié un geste du maire. Il se confia à René Deroudille très attentif à ses recherches qui obtint un rendez-vous avec Edouard Herriot. Celui-ci était à la fin de son existence. L’esprit alourdit par trop de bonne chère, il n’était pas très sensible à la requête de Planchon. Deroudille qui l’accompagnait eut d’un coup l’idée de génie. Il s’adressa à Herriot, lui rappelant les mérites de Planchon pendant les dures heures de la Résistance. L’auteur de Jadis fut tout à coup ému. Il tira de la poche de son veston un billet qu’il tendit à Roger Planchon. Quelques événements ponctuent ce parcours exceptionnel et exemplaire : 1955 – Victor ou les enfants au pouvoir lui permet d’entrer dans le monde de Roger Vitrac. 1957 – Création du Théâtre de la Cité à Villeurbanne. 1958 – les Trois mousquetaires – Georges Dandin et  la bonne âme de Se Tchouan. 1962 – il joue la Remise, une pièce qu’il a écrite. La critique est réticente. Son talent d’auteur dramatique fut contesté. 1962 est aussi l’année du Tartuffe qu’il conservera à son répertoire plusieurs années. Planchon sera  fasciné par Shakespeare : Falstaff, Richard III, etc, mais aussi, par Ionesco, Pinter, etc… Pendant la guerre d’Algérie, il fera jouer une pièce démontrant son engagement pour la libération de cet état. Dans ce moment de l’évolution de notre société, faire du théâtre correspondait à une volonté de dire le monde pour le changer. Planchon choisissait ses auteurs avec cette intention. Il faut voir là une grande partie de sa Modernité, avec la volonté de faire porter le texte par des comédiens militants, surtout, lorsqu’il s’engagera derrière des grands modèles comme : Antoine, Gémier, Copeau, Vilar dans l’aventure du Théâtre National Populaire. La région lyonnaise fut alors une des capitales mondiales du théâtre. Cet exemple suscita une immense quantité de vocation. Roger Planchon et Charles Hernu, député maire de Villeurbanne, imaginèrent à la fin des années soixante-dix le Forum du Jeune Théâtre. Le TNP affichait aussi les plus éblouissantes créations. Je me souviens particulièrement de « la Classe Morte » de Tadeuz Kantor. Roger Planchon qui fut aussi cinéaste, est mort presque en scène, à la manière de Molière. Il venait de lire un de ses derniers textes à une amie. Il s’est senti fatigué. Il s’est allongé et il est mort. Il avait repris ces derniers mois, à Paris, au Théâtre Sylvia Montfort, « Amédée ou comment s’en débarrasser » d’Eugène Ionesco, avec son épouse Colette Dompiétrini. A laquelle nous présentons, ainsi qu’à ses parents et amis, nos sincères condoléances.