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Par Aymeric Engelhard

 

« Gran Torino » marque le grand retour de Clint Eastwood devant la caméra. Un film humaniste où le metteur en scène prouve qu’il n’a pas besoin d’un grand scénario pour créer une œuvre d’art. Petit par son ampleur mais immense par sa réalisation et son sujet, « Gran Torino » est une pièce de musée exceptionnelle, sincère et mémorable.

 

On ne l’avait plus vu devant l’objectif depuis 2005 et son oscarisé « Million Dollar Baby ». Entretemps il s’est clairement imposé comme un maître, la bête de cinéma, dernier géant de l’âge d’or hollywoodien. Il fut malin cow-boy, policier rugueux ou soldat. Légende impassible maintes et maintes fois récompensée, talent comme on n’en fait plus, deux fois oscar du meilleur réalisateur. A 78 ans, Monsieur Clint Eastwood a bien plus apporté au cinéma que n’importe quel autre metteur en scène encore en activité. Et malgré son âge, sa dextérité semble chaque fois plus proche de la perfection. Pour le coup, le maître nous offre ici son nouveau long-métrage seulement quatre mois après son dernier, « L’Echange », somptueux avec une Angelina Jolie bouleversante. « Gran Torino », premier scénario de Nick Schenk, raconte l’histoire de Walt Kowalsky, un vieux citoyen purement américain ronchon et raciste, qui a combattu en Corée, et qui se retrouve à habiter dans un quartier de Détroit où la population asiatique est de plus en plus importante. En sauvant involontairement son jeune voisin hmong (peuple venant notamment du Laos, Vietnam et Thaïlande) d’un gang qui veut l’enrôler, ce vétéran apprendra à connaître cette autre culture. Dans un pays où les différences raciales sont très marquées, Eastwood n’hésite pas à montrer les rivalités qui existent entre blancs, noirs, mexicains et asiatiques. Ne lésinant pas sur les mots et les moyens, ces gangs bien armés s’attaquent donc à ce jeune garçon, Thao, pas très courageux et à sa famille. Parce qu’ils ont une dette envers Kowalsky, les hmongs lui offre les services du pauvre jeune homme. Deux entités opposées apprendront là à se connaître et Kowalsky prendra Thao sous son aile. Il le défendra jusqu’au bout.

 

Gran Torino est en fait le nom d’une automobile issue des usines Ford en 1972, et qui connaîtra son heure de gloire dans la série culte « Starsky et Hutch ». Cette voiture sera en quelque sorte le fil conducteur de l’histoire, objet des convoitises, récompense… Elle appartient au personnage d’Eastwood. Personnage qui semble écrit directement pour l’acteur/réalisateur tant ils sont proches. Ils ont le même âge et la fin ainsi que la morale ne sont pas sans référence à cette fin de carrière du metteur en scène. Eastwood excelle, charismatique à souhait, une voix rocailleuse et un sens de l’humour qu’on ne lui connaissait pas forcément. Plus que sa performance d’acteur, c’est celle de réalisateur que l’on retiendra. Le scénario n’est pas très important mais le talent du maître explose dès les premières images. Il créé un film d’une grande sincérité traitant de la mort, de la famille et de la religion comme il sait si bien faire. Son talent ne faiblit pas, la morale trouvera son paroxysme dans une scène finale diablement réussie. Il teinte aussi « Gran Torino » d’un humour décapant, un humour de mec, vulgaire, raciste, un humour old school génial où chaque réplique frappe sa cible en plein centre. Face à l’humour ou la morale, Eastwood ajoute une certaine violence. Tant verbale que physique, elle reste présente à l’écran et appuie les propos. On retiendra une scène très dure où la sœur de Thao revient à la maison après s’être fait frappée, violée, etc. La vue de son corps mutilé est difficile. Clint Eastwood réalise là une grande œuvre, jamais inégale, fantastique dans ses propos et sa mise en scène. La musique (dont une jolie chanson de générique de fin) est signée du fiston Kyle. Qui aurait cru alors que l’histoire d’un vieux vétéran dans son petit quartier serait aussi émouvante ? Chaque image est un plaisir, le grand réalisateur nous dit alors que sa carrière a une fin et que, à 78 ans, cette fin se rapproche. « Gran Torino » est déjà une pièce de musée, une œuvre d’art magnifique, du cinéma comme on n’en voit plus.